« Je suis né en 1940 à Haguan en Corée du Sud que l’on appelle “le Pays du matin clair”. Durant mon enfance, j’ai connu l’occupation japonaise, la guerre des deux Corées, le communisme, les privations, mais la nature magnifique de ce pays m’inspire toujours.
Notre père a élevé ses huit enfants selon la morale de Confucius. En plus de son métier, il exerçait l’art de la calligraphie, une tradition familiale qu’il m’a transmise avec ferveur et avec beaucoup d’exigence. La calligraphie est une manière de mettre le monde en valeur. Pour être un bon calligraphe, la beauté visuelle des idéogrammes ne suffit pas, il faut avoir des talents de poète ou d’écrivain.
Mon père souhaitait faire de moi un homme lettré
Ainsi mon père souhaitait faire de moi, son fils aîné, un homme lettré, c’est-à-dire qui sache écrire, peindre et possède un esprit poétique. Très jeune, je me suis passionné pour le dessin et la peinture, mais ce qui me fascinait le plus c’était les effets de la lumière dans la nature. Je garde en mémoire des souvenirs très précis “d’instants magiques”, comme cette fin d’après-midi dans une rizière où, entre deux nuages, s’est glissé un rayon du soleil couchant sur la surface cuivrée de l’eau.
Ma quête en tant que croyant et artiste a toujours été de chercher à mettre en valeur cette lumière qui, pour moi, est signe divin, signe du lien qui unit Dieu aux hommes. C’est ce que j’essaie de traduire dans les vitraux que je réalise pour les églises.
Mes parents sont à l’origine de ma vocation artistique
La vocation artistique était sous-jacente dans ma famille : elle était déjà présente chez mon père qui possédait un vrai talent de calligraphe. Hélas, du fait des guerres traversées par son pays, et du communisme, il n’a jamais pu déployer cette vocation. Ma mère, elle, avait surtout un sens extraordinaire de la couleur. Tous deux sont à l’origine de ma propre vocation artistique : ma peinture est une façon de leur rendre hommage.
Mon père avait été élevé dans la belle tradition du confucianisme, où les enfants se doivent d’être obéissants à leurs aînés, et de faire preuve en toute situation de piété familiale. Il avait été marié à 13 ans et demi, comme cela se faisait alors, pour assurer la descendance, mais jamais il ne s’est rebellé contre cette décision parentale. Il a toujours marqué un profond respect pour la femme que ses parents lui avaient choisie.
J’ai eu la joie immense de baptiser mes parents
Je suis très ému lorsque je parle de mon père, parce que je n’ai jamais oublié le respect avec lequel il a accueilli mon choix de ne pas me marier. Lorsque je suis revenu en Corée après mon ordination sacerdotale, mes frères, que j’avais mis dans la confidence, avaient organisé une petite entrevue avec mon père seul, afin que je puisse lui expliquer ma décision.
À peine arrivé, papa me dit : “Tu es revenu au pays, alors maintenant il faut te marier !” Et lorsque je lui ai répondu que j’étais déjà devenu prêtre, il a pâli et s’est tu. Puis, au bout d’un long moment de silence, il me confia doucement : “Puisque tu as pris la bonne voie on ne peut pas revenir en arrière. Mon seul souci est de voir ta maman tellement déçue !” Cette remarque est révélatrice de sa grandeur d’âme !
Mes parents ont certainement été très peinés que je n’aille pas dans le sens de la famille, mais jamais ils ne m’en ont fait le reproche. Au contraire, à la fin de mon séjour de quatre mois, j’ai eu la joie immense de les baptiser tous les deux. Je leur suis infiniment reconnaissant de leur bienveillance. Ce sentiment filial m’impose de ne pas tomber dans la banalité, de toujours chercher à faire mieux. Pour mes parents, j’ai envie de travailler, doublement, triplement pour les récompenser et les remercier. »
Recueilli par Évelyne Montigny / Vidéo : Paula Pinto Gomes