Funérailles du frère Albert Patfroot (1912-2013)
Notre frère Albert Patfroot a accompli son long pélerinage terrestre le 5 juin dernier, en la mémoire de Saint Boniface, au couvent des Soeurs Dominicaines d’Ambert qui l’ont entouré de leur prévenance fraternelle au terme de sa vie et lui ont permis de mourir en terre dominicaine. Rien ne prédestinait ce fils des Flandres à terminer sa vie en Auvergne : nous ne choisissons ni l’origine ni le terme de notre vie.
Les Moëres (Nord), Amiens, Le Saulchoir de Kain, le Saulchoir d’Etiolles, l’Angelicum de Rome, le couvent de Dijon, le couvent de l’Annonciation à Paris, Ambert, telles sont les étapes de la longue vie dominicaine de notre frère.
Né le 24 octobre 1912, il prit l’habit de l’Ordre le 11 novembre 1934 au couvent d’Amiens où il fit son noviciat ; il fit sa première profession le 12 novembre 1935 en la fête de la Toussaint de l’Ordre, sa profession solennelle trois ans plus tard. Au début de la deuxième guerre mondiale, il fut mobilisé et ordonné prêtre le 24 décembre 1939.
Il fit ses études institutionnelles au Saulchoir de Kain près de Tournai. Ce grand couvent exerçait alors un grand attrait sur les jeunes du Nord qui furent longtemps nombreux dans notre Province. Lorsque le Saulchoir regagna la France, à Etiolles, il fit partie de la première communauté. Pour ma part, je l’ai connu dès mon arrivée au Saulchoir d’Etiolles en 1957. C’était un frère toujours souriant et d’une grande délicatesse fraternelle, sa piété m’édifiait. Je dois dire que dans ce grand couvent terriblement austère, où les relations humaines étaient peu chaleureuses, il fut pour moi un véritable rayon de soleil. Il faisait alors partie des jeunes lecteurs. Le frère Albert-Marie de Monléon et moi ne l’avons eu que beaucoup plus tard en théologie dogmatique. A cette époque, le cours du professeur était surtout un commentaire de la Somme Théologique. Ce fut lui qui nous enseigna les questions les plus difficiles de la Tertia Pars concernant l’Incarnation. Beaucoup d’entre nous avions parfois du mal à le suivre, car il n’était pas toujours très pédagogue, mais j’ai appris ensuite qu’arrivé à Rome comme professeur à l’Angelicum il avait fait de grands progrès pédagogiques dans son enseignement.
C’est à Rome où il passa la plus grande partie de sa vie qu’il donna sa pleine mesure comme professeur et comme chercheur. Il est l’auteur d’innombrables articles érudits, mais, surtout de deux livres importants : Thomas d’Aquin, les clefs d’une théologie et La Somme de saint Thomas et la logique du dessein de Dieu. Ses cours et séminaires étaient très appréciés comme en témoigne la lettre de l’archevêque polonais que nous venons d’entendre. Mgr Dominique Lebrun qui fut alors son étudiant pourrait aussi donner son témoignage.
Professeur à l’Angelicum, le frère Patfoort était le conseiller très écouté du Saint Siège et il fut longtemps consulteur auprès de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. C’est entre autres dans ce contexte qu’il ouvra à la réconciliation de jeunes catholiques dissidents qui avaient invalidement reçu l’habit de l’Ordre et qui étaient perturbés par la Déclaration conciliaire Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse : certains d’entre eux font partie aujourd’hui, me semble-t-il, de la Fraternité Saint Vincent Ferrier.
La retraite venue, il fut assigné au couvent de Dijon, et il y vécut jusqu’à la fermeture. A Dijon, il eut une vie très active, car il était fréquemment invité dans des communautés variées désireuses de connaître l’ouvre de saint Thomas d’Aquin.
La fermeture du couvent de Dijon l’amena au couvent parisien de l’Annonciation où il retrouvait son plus jeune frère Thomas. Il y vécut des années heureuses jusqu’au moment où le grand âge et ses infirmité rendirent la communication difficile. Il n’en restait pas moins le frère affable et souriant qu’il avait toujours été. L’heure vint où le couvent ne pouvait plus lui assurer les soins dont il avait besoin et il fallut se résoudre à le placer dans une maison de retraite. Ce furent des moments difficiles pour lui-même et les frères proches de lui, en particulier son frère Thomas ; enfin arriva le temps béni où il fut accueilli à Ambert par les soeurs dominicaines, véritable résurrection, a-t-on dit.
Il y a une semaine, la solennité du Saint Sacrement nous remettait au contact de l’admirable office composé par saint Thomas d’Aquin à la demande du pape Urbain IV. Certes la traduction française rend mal la beauté des compositions thomasiennes. Qu’il me soit permis de citer la doxologie de l’hymne de l’office de lecture :
« Per tuas semitas
duc nos quo tendimus
ad lucem quam inhabitas »
– Hymne Sacris solemniis
« Guide-nous par tes voies au terme où nous tendons vers la lumière où tu habites »
Prions pour que notre frère, qui a eu toute sa vie pour guide intellectuel et spirituel saint Thomas d’Aquin, soit maintenant accueilli dans la lumière du Seigneur !
Monseigneur Pierre Raffin
Evêque de Metz