En ce 20 août 2010, la ville de Brioude avait la joie de recevoir Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication
Monsieur Jean-Jacques Faucher, Maire de la ville, fit un discours dont voici un extrait :
” Monsieur le Ministre,
Je suis fier de vous avoir fait découvrir le centre historique de Brioude et la Basilique Saint-Julien. La restauration et la dynamisation du cœur de ville ont été un axe majeur de l’action municipale depuis 1995.
(…)
Il y a quelques instants, nous avons découvert ensemble l’Hôtel du Doyenné, avec son exceptionnel plafond armorié, aujourd’hui dans un état de quasi-abandon. Nous souhaitons le restaurer pour y accueillir des expositions temporaires consacrées à de grands artistes contemporains. Nous avons la chance, à cet égard, de bénéficier des conseils de Jean-Louis PRAT. Ce nouveau projet est complémentaire des vitraux du Père Kim. Ceux qui visitent Brioude découvrent, avec les vitraux de la Basilique, une œuvre majeure de l’art contemporain. Les expositions temporaires de l’Hôtel du Doyenné les inciteront à renouveler leurs visites. Mais surtout, la finalité est, comme à la Basilique, de permettre de découvrir l’art moderne dans un cadre historique, de mettre en valeur les créations d’aujourd’hui dans un cadre ancien.
(…)
Ainsi, les vitraux du Père Kim en Joong sont l’aboutissement d’une démarche qui, en unissant le contemporain à l’ancien, apporte de la vie à la Basilique et à la ville. Sa création qui prend son sens dans la lumière, donne une dimension nouvelle à Brioude.
Nous remercions le Père Kim en Joong et nous lui sommes reconnaissants de ce qu’il nous a apporté. Nous nous associons avec un immense plaisir à l’hommage qui lui est rendu
Discours de M. Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication, lors de son discours pour la remise de la décoration d’Officier dans l’Ordre des Arts et Lettres, au Père Kim En Joong.
Cher Kim En Joong,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je suis particulièrement heureux de rendre aujourd’hui hommage à un artiste majeur dont les œuvres nous invitent à poursuivre une quête de la lumière, où la création artistique et le religieux se rejoignent.
Cher Kim En Joong,
De la Corée du Sud où vous êtes né à ce voyage en Europe où vous avez vécu cette aventure artistique et religieuse, votre œuvre abondante a toujours su témoigner de cette foi qui vous anime et vous fait vivre.
Votre ami Julien Green avait écrit dans son Journal : « le grand pêché du monde moderne, c’est le refus de l’invisible. » Cet invisible, ce peut être la foi ; c’est aussi la lumière que vous travaillez inlassablement. Mais ce sont également les passerelles culturelles et esthétiques que votre œuvre et votre parcours à l’évidence traversent. Votre art s’inscrit en effet à la jonction de plusieurs civilisations qui constituent désormais, pour votre créativité, autant d’éléments naturels.
De votre enfance dans le petit village d’Haguan où vous êtes né sous l’occupation japonaise à l’apprentissage de la calligraphie traditionnelle, de l’usine Goonsi de Daejon où travaillait votre père, calligraphe, jusqu’à l’école des Beaux-Arts de Séoul, vous avez gardé de la Corée un sens des formes et un jeu de couleurs spécifiques dont vous ne vous êtes jamais départi.
Ensuite, c’est en suivant des cours de français dispensés par les Missions Étrangères de Paris que vous développez une attirance pour l’Europe et la France. Rapidement, vous faites le choix d’étudier la peinture occidentale. Vous découvrez l’impressionnisme et le cubisme. Vous vous essayez à l’art abstrait. Vous n’oublierez pas ces années difficiles, années de guerre entre la Corée du Nord et celle du Sud, où vous peigniez sur des sacs de toile laissés par les Américains à leur départ.
Cher Kim En Joong,
Vous avez eu le courage de l’espérance, et ce dès votre plus jeune âge : une espérance qui portera vite ses fruits, puisqu’à 22 ans à peine, vos toiles non figuratives, nourries de notions techniques neuves sur l’espace et la perspective, s’imposent lors du concours de l’Exposition Annuelle de 1962 à Séoul. Ce Prix vous a conforté dans votre talent et votre désir de vivre pour la peinture.
C’est en donnant des cours de dessin au Petit Séminaire Catholique de Séoul que vous découvrez la religion catholique. Deux ans plus tard, en 1967, vous décidez de vous faire baptiser. Vous partez en Suisse étudier à l’Université de Fribourg et vous entrez chez les dominicains ; ordonné prêtre en 1974, vous êtes assigné au Couvent de l’Annonciation à Paris, où vous vivez depuis, tout en continuant votre œuvre de création comme une « prédication silencieuse ».
Votre parcours s’inscrit ainsi à la croisée de multiples passerelles : des pensées taoïste, confucianiste et bouddhiste à la foi chrétienne ; de la Corée à la France ; de l’art de la calligraphie au choix de l’abstraction ; de la toile au verre ; de la tradition multiséculaire de Chartres à la renaissance contemporaine du vitrail ; de l’horizontal de ce sol à même lequel vous peignez le verre à la verticalité des édifices dans lesquels votre œuvre achevée s’insère.
Aujourd’hui, vous exposez à Séoul, Paris, Genève, Vienne, Bonn, Rome, Tokyo, Dublin, Bruxelles, Vence, Zurich… et les critiques et les directeurs artistiques ont maintes fois salué votre talent. Le Centre International du Vitrail à Chartres organise cette année même une rétrospective de votre œuvre.
Mais ce sont aussi une trentaine d’édifices religieux qui, dans le monde, portent votre marque, et particulièrement en France : Evry, Angoulême, Montceaux-l’Etoile en Bourgogne, Dax, le monastère de Ganagobie en Provence, la chapelle de Bénodet, en Bretagne, la basilique Saint-Julien, enfin, ici à Brioude, figurent parmi ces édifices que vous mettez en lumière comme autant de Jérusalem célestes. Explorant une voie ouverte, par des chemins différents, par Matisse et Chagall, votre œuvre vient ainsi faire vivre des bâtiments souvent protégés au titre des Monuments historiques selon une approche qui sait les transfigurer et à laquelle je suis particulièrement sensible.
C’est contre l’illusion stérile de la représentation, la prolifération des écrans et l’invasion du figuratif que vous faites le pari de la lumière, suivant une charte chromatique en un sens complémentaire de celle que Pierre Soulages a utilisé de l’autre côté du massif central, à Conques, et que j’ai eu l’occasion d’admirer hier. Le nom du Père Kim figure désormais de manière incontestable parmi ceux des grands maîtres du vitrail contemporain, aux côtés d’Alfred Manessier et Henri Guérin. Dans la basilique de Brioude, vos vitraux, fruit d’une œuvre commune avec les maîtres verriers des ateliers Loire inaugurée il y a deux ans, viennent illustrer comment prier et peindre peuvent, dans votre démarche, participer d’une même action de grâce. Vraie lumière née de vraie nuit, pour reprendre le titre du recueil de poème de François Cheng que vous avez illustré de vos lithographies.
Il paraît qu’en entrant chez les dominicains, vous étiez prêt à arrêter de peindre. Heureusement, le Père de Menasce, ami de Jacques Maritain, avait perçu en vous la grandeur de votre talent et vous avait donné ce texte pour votre profession solennelle : « Dieu respecte le don qu’il a confié aux hommes. Priez Fra Angelico et continuez. »
En découvrant ce chef-d’œuvre de l’art roman qu’est la Basilique de Brioude, je sais que vous n’avez jamais cessé d’y croire.
Pour l’ensemble de votre œuvre, cher Kim En Joong au nom de la République, nous vous faisons Officier dans l’Ordre des Arts et Lettres. “
Remerciements prononcés par le Père Kim En
” Monsieur le Ministre,
Je suis réellement très surpris de recevoir aujourd’hui l’insigne d’officier dans l’Ordre des Arts et Lettres ! … En effet, je ne suis qu’un petit instrument entre les mains du Créateur du ciel et de la terre et l’honneur que vous me faites me paraît bien immérité !..
Malgré ce sentiment, j’aimerais malgré ma faiblesse, me considérer comme un arbre qui continue à pousser : les racines coréennes, le tronc français et la cime qui voudrait déchirer le ciel pour que descende la splendeur divine… cet arbre se nourrit de l’art roman, de la lumière de Notre-Dame de Chartres, de la pureté de Cézanne, de la ténacité de Monet, de la douceur de Bonnard, de la simplicité de Matisse, de la liberté de Kandinsky…
Par ailleurs, je voudrais traverser le pont que Matisse et Chagall ont préparé au siècle dernier ; comme il n’y a pas de plus grand saint, il n’y a pas non plus de plus grand artiste ou, tout au moins, il n’est pas encore né !… Ce constat m’indique tout l’effort que je dois accomplir, non pas dans le souci de rechercher une vaine gloire terrestre mais afin de parvenir à ouvrir enfin le champ infini du monde invisible car, comme l’écrivait le Cardinal Danneels dans la préface d’une récente exposition : « Seul l’artiste possède les clés permettant de pénétrer le Royaume de Dieu et des profondeurs humaines ».
Pour la libération des cœurs enfermés, que cet arbre porte des fruits à profusion, tel est mon rêve au quotidien… j’ai encore en mémoire cette réflexion, lors d’une exposition, d’un groupe de visiteurs de confession juive : « Votre travail, dit l’un d’eux, fait s’écrouler le mur séparant nos religions ; face à vos créations, nous pouvons tous prier… » ; dans mon cheminement vers l’universel, combien de tels témoignages m’encouragent !… et la rosace qui ornera bientôt l’université de Bagdad sera, elle aussi, le signe de cet immense élan qui, ignorant les barrières humaines, illuminera cette terre tant meurtrie mais si assoiffée de paix, d’amour et d’éternité !…
Aujourd’hui je voudrais que s’ouvre pour moi une voie toujours nouvelle, comme Matisse qui jusqu’au dernier jour, continua d’avancer sur le chemin de la création ; pour cela, il faut que mon cœur demeure vibrant d’un tel désir, plein de cette flamme intérieure qui anime dans le firmament étoilé les cyprès de Van Gogh .
Qu’il me soit enfin permis, Monsieur le Ministre, de vous remercier de votre présence et à travers vous de dire toute ma gratitude à La France ; Merci aussi à vous, Monsieur le Maire de Brioude, qui vous êtes tant dévoué pour la réalisation des vitraux de la basilique, à vous , cher Jean-Louis Prat, fidèle et précieux témoin de mes travaux de Saint-Paul de Vence ainsi qu’à vous tous qui m’avaient aidé et encouragé
A l’aube de ce vingt et unième siècle, je formule le vœu, que vous, Monsieur Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture, vous puissiez, comme André Malraux, votre illustre prédécesseur, inventer des choses nouvelles et qu’ensemble nous puissions réaliser un peu de mon rêve ; comme le disait le Père Sertillanges, « Quand on regarde longtemps le ciel on a des ailes… »
Dans cet espoir que nos vies demeurent animées par le désir des retrouvailles du paradis perdu et que dans cette attente nous demeurions en Action de Grâces”